Том 4. Письма 1820-1849 - Страница 9


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А теперь, милостивый государь граф, позвольте объяснить, почему я желал бы получить место г-на Крюденера предпочтительнее всякому иному. Осмелюсь признаться вашему сиятельству, что могу воспользоваться великодушным расположением, коим вы изволили меня удостоить, только при условии получения именно сей милости, к коей я стремлюсь.

Бывают признания, к коим даже суровость обстоятельств не могла бы нас принудить, ежели бы не благородство души того, кто нас выслушивает. Сими соображениями я и руководствуюсь теперь.

Несмотря на то, что в будущем меня ожидает получение независимого состояния, уже в течение многих лет я приведен к печальной необходимости жить службой. Незначительность средств, отнюдь не отвечающая расходам, к коим меня вынуждает мое положение в обществе, против моей воли наложила на меня обязательства, исполнению коих может помочь только время. Такова первая причина, удерживающая меня в Мюнхене. Даже выгодное перемещение по службе, пусть с повышением в чине, непременно принудило бы меня к новым расходам, кои вкупе с прежними столь значительно бы усугубили мое затруднительное положение, что покровительство вашего сиятельства оказалось бы призрачным из-за материальной невозможности для меня им воспользоваться.

Как я уже говорил, милостивый государь граф, служба доставляет мне средства к жизни. Уверяю вас, я бы не стал останавливаться на этом обстоятельстве, ежели бы я был один… но у меня жена и двое детей. Конечно, никто лучше меня не понимает, что женитьба в столь непрочном, зависимом состоянии, как мое, есть самая непростительная ошибка. Я сознаю это, поскольку уже 7 лет расплачиваюсь за нее. Но я был бы глубоко несчастлив, ежели бы за мою ошибку расплачивались три совершенно невинных существа.

Впрочем, ежели и существует страна, где бы я льстил себя надеждой приносить некоторую пользу службой, так это решительно та, в коей я ныне нахожусь. Длительное пребывание здесь, благодаря последовательному и серьезному изучению страны, продолжающемуся поныне, как по внутреннему влечению, так и по чувству долга, позволило мне приобрести совершенно особое знание людей и предметов, ее языка, истории, литературы, общественного и политического положения, — в особенности той ее части, где я служу. Все эти причины купно дают мне некоторое право надеяться, что, по крайней мере, здесь я смогу должным образом оправдать милость, о коей прошу… И позвольте добавить в заключение, что ежели бы речь шла единственно о продвижении по службе, я бы не стал так беспокоиться. Но это есть вопрос жизни: и вам, милостивый государь граф, решать его, это обстоятельство ободряет меня…

Честь имею пребывать с совершенным уважением, милостивый государь граф, вашего сиятельства

нижайший и покорнейший слуга

Ф. Тютчев

Гагарину И. С., 20–21 апреля/2-3 мая 1836

28. И. С. ГАГАРИНУ 20–21 апреля/2-3 мая 1836 г. Мюнхен

Munich. Ce 2 mai 1836

Mon bien cher ami. J’ose à peine espérer qu’en revoyant mon écriture vous n’éprouviez plutôt une impression pénible qu’agréable. Ma conduite à votre égard est inqualifiable dans toute la vague énergie de ce mot. Et quelle que soit ou quelle qu’ait été votre amitié pour moi, quelle que soit l’aptitude de votre esprit à comprendre les excentricités les plus extravagantes du caractère ou de l’esprit d’autrui, je désespère en vérité de vous expliquer mon silence. Sachez que depuis des mois ce maudit silence me pèse comme un cauchemar, qu’il m’étouffe, qu’il m’étrangle… et bien que pour le dissiper il eût suffi d’un très léger mouvement des doigts… jusqu’à l’heure d’aujourd’hui je ne suis pas parvenu à effectuer ce mouvement sauveur, à rompre ce sortilège.

Je suis un exemple vivant de cette fatalité, si morale et si logique, qui fait de chaque vice sortir le châtiment qui lui est dû. Je suis un apologue, une parabole, destinée à prouver les détestables conséquences de la paresse… Car enfin c’est cette maudite paresse qui est le mot de l’énigme. C’est elle qui, en grossissant de plus en plus mon silence, a fini par m’en accabler comme sous une avalanche. C’est elle qui a dû me donner à vos yeux toutes les apparences de l’indifférence la plus brutale, de la plus stupide insensibilité. Et Dieu sait pourtant, mon ami, qu’il n’en est rien. En écartant les phrases, je ne vous dirai que ceci: depuis l’instant de notre séparation, il ne s’est pas passé un jour que vous ne m’ayez manqué. Croyez, mon cher Gagarine, qu’il y a peu d’amoureux qui pourrait en conscience en dire autant à sa maîtresse.

Toutes vos lettres m’ont fait grand plaisir, toutes ont été lues et relues… A chacune d’entr’elles j’ai fait au moins vingt réponses. Est-ce ma faute si elles ne vous sont pas parvenues, faute d’avoir été écrites. Ah, l’écriture est un terrible mal, c’est comme une seconde chute pour la pauvre intelligence, comme un redoublement de matière… Je sens que si je me laissais aller, je vous écrirais une bien longue, longue lettre, tendante uniquement à vous prouver l’insuffisance, l’inutilité, l’absurdité des lettres… Mon Dieu, comment peut-on écrire? Tenez, voilà une chaise vide auprès de moi, voilà des cigares, voilà du thé… Venez, asseyez-vous et causons. — Ah oui… causons comme nous l’avons si souvent fait, comme je ne le fais plus.

Mon cher Gagarine, vous vous tromperiez beaucoup si vous jugiez par ce commencement de lettre (que je ne suis pas sûr d’achever) de l’état habituel et réel de mon humeur… Et, pour ne parler que du moment présent, les Krüdener, qui nous quittent demain, vous diront si j’ai lieu de me réjouir beaucoup. Après un hiver passé dans les tiraillements continuels, dont nul que moi n’a eu le secret, un événement aussi imprévu qu’il aurait pu devenir affreux a failli bouleverser mon existence… Je n’ai pas le courage de vous en parler… Mais sachez qu’à peine revenu à moi-même, j’ai pensé à vous et ai compté sur votre sympathie…

Par lettres on ne devrait parler que de généralités, car il n’y a que les généralités qui puissent être comprises à distance… Mais c’est qu’il y a des moments où la vie interrompt tout à coup cette discussion philosophique et vous cherche querelle comme un mauvais bretteur… C’est même là le côté vraiment tragique de la condition humaine. Dans les temps ordinaires la terrible réalité de la vie laisse la pensée se jouer librement autour d’elle, et lorsque celle-ci est pleine de sécurité et de foi dans sa force, tout à coup elle s’éveille et d’un seul coup de patte lui brise les reins… Mais ceci encore n’est qu’une généralité… Revenons à vos lettres…

Ce que vous me dites de vos premières impressions à votre retour en Russie m’a intéressé. Je regrette de n’y avoir pas fait de réponse dans le premier moment, maintenant c’est trop tard. Car que sais-je où vous en êtes maintenant? A coup sûr ce ne sont plus les mêmes nuages au ciel qu’il y a six mois. A l’heure qu’il est vous devez avoir quitté le bord. Vous devez être entré dans le courant… S’il y avait de la convenance à parler des choses qu’on ignore complètement, je vous dirais en gros que le mouvement intellectuel, tel qu’il s’accomplit maintenant en Russie, rappelle à certains égards, et en tenant compte de l’immense diversité de temps et de position, la tentative catholique, essayée par les Jésuites… C’est la même tendance, le même effort de s’approprier la culture moderne moins son principe, moins la liberté de la pensée… et il est plus que probable que le résultat en sera le même… Ne serait-ce que par la simple raison que dans le pouvoir absolu, tel qu’il est constitué chez nous, il entre un élément protestant, ipso facto la tutelle de Mr Ouvaroff et conf<rère>s peut être bonne ou mauvaise, salutaire ou malfaisante, mais dans tous les cas elle est transitoire…

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