Том 4. Письма 1820-1849 - Страница 10


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Ce 3 mai

Hier soir, en vous écrivant, je n’ai pas pu prendre sur moi de m’expliquer avec vous sur le triste événement dont j’ai été affligé. Cependant tout bien considéré, j’aime mieux vous dire le fait tel qu’il est, que de vous laisser à la merci des versions ou fausses ou exagérées. Voici ce que c’est.

Ma femme, depuis qu’elle avait sevré son dernier enfant, paraissait complètement remise. Cependant le médecin attendait non sans inquiétude le premier retour de la période. En effet, le matin même du jour de l’événement, elle s’annonça par des crampes d’une violence extrême. On lui fit prendre un bain qui la soulagea. Vers les 4 heures, comme elle paraissait parfaitement calme, je la quittai, pour aller dîner en ville. Je rentrai plein de sécurité, lorsque j’appris en entrant qu’un malheur venait d’arriver. Je me précipitai dans sa chambre et la trouvai gisante à terre et baignée de son sang… Une heure après mon départ, comme elle me l’a raconté elle-même depuis, elle s’est sentie tout à coup le cerveau comme envahi par le sang, toutes ses idées se brouillèrent, et il ne lui reste qu’un sentiment d’inexprimable angoisse avec l’irrésistible besoin de s’en délivrer à tout prix. Par une fatalité inouïe, sa tante venait de la quitter et sa sœur n’était pas dans la chambre lorsque l’accès se déclara… S’étant mise à fouiller dans ses tiroirs, elle découvre tout à coup un petit poignard qui était resté là depuis la masquerade de l’année dernière. La vue de ce fer fixe ses idées, et dans un accès de complète frénésie elle s’en donne plusieurs coups au sein. Aucun heureusement n’était grave. Perdant du sang et toujours en proie à cette angoisse dont elle ne peut se délivrer, elle descend l’escalier, court dans la rue, et là, à 300 pas de la maison, tombe évanouie. Les gens de Hollenstein, qui l’avaient vu sortir et qui la suivirent, la rapportèrent chez elle. Sa vie pendant vingt-quatre h<eures> fut dans un danger imminent, et ce n’est qu’après lui avoir appliqué une saignée et 40 sangsues qu’on est parvenu à la rendre à la raison… Maintenant elle est hors d’affaire, quant à l’essentiel, mais l’ébranlement nerveux se fera encore longtemps sentir.

Tel est le fait dans sa vérité vraie, sa cause est toute physique. C’est un transport au cerveau. Vous qui la connaissez et qui connaissez tout l’ensemble de la position, vous n’en douterez pas un instant. Et j’attends de votre amitié, mon cher Gagarine, que s’il arrivait qu’en votre présence on cherchât à représenter la chose sous un jour plus romanesque peut-être, mais complètement faux, vous démentiez hautement les absurdes versions. Le roman est devenu si lieu commun, que même sous le rapport de l’intérêt tous les bons esprits doivent préférer un fait physiologique à une aventure romanesque…

Ayant appris que je vous écrivais, elle me charge de mille amitiés pour vous… Dans le paquet, qu’elle vous envoie, le portefeuille est pour vous et le portrait pour son fils Charles, auquel vous aurez la complaisance de le faire remettre, en l’instruisant prudemment et avec discrétion de l’accident arrivé à sa mère…

Je ne vous parle pas de mes affaires de service par la même raison qui fait que ne lis jamais dans les journaux les articles concernant la Suisse. C’est trop plat et trop ennuyeux. Mr le Vice-Chancelier est pis que le beau-père de Jacob. Au moins celui-là n’a fait travailler son gendre que 7 ans pour obtenir Lia, pour moi la mesure a été doublée. Ils ont raison après tout. N’ayant jamais pris le service au sérieux, il est juste que le service aussi se moque de moi. En attendant, ma position se fausse de plus en plus… Je ne puis songer à retourner en Russie par la simple et excellente raison que je ne saurai comment faire pour y exister, et d’autre part, je n’ai pas le moindre petit motif raisonnable, pour persévérer dans une carrière qui ne m’offre aucune chance d’avenir. Le malheureux événement qui vient d’avoir lieu pourra, je le crains, contribuer à empirer encore ma position. On s’imaginera peut-être à Pétersbourg que ce serait me rendre un très grand service que de me déplacer à tout prix de Munich et rien n’est plus faux. Je ne demande pas mieux que de le quitter, mais au prix d’un avancement réel, autrement… Brisons là. Il est honteux de tant parler de soi, et surtout parfaitement ennuyeux.

Bien des remerciements pour le volume de poésies que vous m’avez envoyé. Il y a là de l’inspiration, et ce qui est d’un bon augure pour l’avenir, il y a à côté d’un élément idéal très développé le goût du réel et du sensible, voire même du sensuel… Ce n’est pas un mal… La poésie, pour fleurir, doit avoir ses racines en terre… C’est une chose remarquable que ce torrent de lyrisme qui inonde l’Europe, et cela tient pourtant, en grande partie, à une circonstance très simple, au mécanisme perfectionné des langues et de la versification. Tout homme à un certain âge de la vie est poète lyrique. Il ne s’agit que de lui dénouer la langue.

Vous m’avez demandé de vous envoyer mes paperasses. Je vous ai pris au mot. J’ai saisi cette occasion pour m’en débarrasser. Faites-en ce que vous voudrez. J’ai en horreur le vieux papier écrit, surtout écrit par moi. Cela sent le rance à soulever le cœur…

Adieu, mon bien cher ami. Et si vous êtes toujours le même, si vous êtes toujours indulgent et compréhensif, amnistiez-moi et écrivez-moi. Je vous promets de vous répondre. Quant à cette lettre-ci, ce n’est rien. Considérez-la comme non avenue. C’est le geste d’un homme qui tousse et se mouche avant de commencer à parler. Rien de plus.

Mes hommages à vos parents. T. Tutchef

Перевод

Мюнхен. 2 мая 1836

Любезнейший друг. Едва смею надеяться, что, вновь увидав мое писание, вы не испытаете чувства скорее тягостного, нежели приятного. Мое поведение по отношению к вам неслыханно во всей туманной выразительности этого слова. И каким бы ни было, в настоящем или прошедшем, ваше дружеское ко мне расположение, как бы ни умели вы понимать самые невероятные странности в характере и уме ближнего, я поистине отчаиваюсь объяснить вам мое молчание. А надобно вам знать, что долгие месяцы это проклятое молчание гнетет меня как кошмар, что оно меня душит, давит… и хотя для того, чтобы нарушить его, достаточно было бы лишь слегка пошевелить пальцами… до сей минуты мне не удавалось сделать это спасительное усилие, прогнать это наваждение.

Я живое доказательство того правила, столь нравственного и столь логичного, согласно которому всякий порок влечет за собой равное ему наказание. Я аполог, притча, призванная продемонстрировать отвратительные последствия лени… Ибо именно в этой проклятой лени и состоит вся загвоздка. Это она, накапливая и накапливая мое молчание, в конце концов погребла меня под ним, как под лавиной. Это она должна была выставить меня в ваших глазах примером самого грубого безразличия, самой тупой бесчувственности. Однако ж, видит Бог, мой друг, это отнюдь не так. Излишне не распространяясь, скажу вам одно: с момента нашей разлуки дня не проходило, чтобы я не ощущал вашего отсутствия. Поверьте, любезный Гагарин, что редкий любовник может по совести сказать то же своей даме.

Все ваши письма доставляли мне огромное удовольствие, все читались и перечитывались… На каждое у меня было по меньшей мере двадцать ответов. Моя ли вина, если они не дошли до вас из-за того, что не были написаны. Ах, писание — страшное зло, это как второе грехопадение для бедного разума, как удвоение материи… Чувствую, что, дай я себе волю, я написал бы вам длинное-предлинное письмо с единственной целью доказать неудовлетворительность, бесполезность, нелепость писем… Боже мой, да как же можно писать? Взгляните, вот подле меня свободный стул, вот сигары, вот чай… Приходите, усаживайтесь и станем беседовать. — О да… станем беседовать, как мы беседовали столь часто и как я больше не беседую.

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