Hier j’ai conduit Anna et Mad. Dugaillon à Pétersb<ourg>. C’était hier le jour des fiançailles, et le temps était magnifique. Depuis quelques jours nous avons le plus magnifique temps du monde.
Vous savez que Mad. Dugaillon nous quitte, bien à contre-cœur toutefois. Nous la regrettons aussi, d’autant plus que je sais par expérience la difficulté qu’il y a de trouver à remplacer une gouvernante dont on est satisfait.
Anna me charge de baiser bien tendrement vos mains et de vous remercier de ce que vous voulez bien lui faire dire par moi. Elle aussi a une très grande envie d’aller vous rejoindre. Vous trouverez en elle un naturel très affectueux et très aimant — et un cœur qui vous est déjà tout dévoué. C’est pour elle surtout que je désire Moscou.
La santé de ma femme, Dieu merci, s’est remise cette fois beaucoup plus vite que je n’osais l’espérer. C’est grâce, en grande partie, au traitement homéopathique qu’elle a suivi et qui entre les mains d’un médecin intelligent, comme est le sien, est le seul qui convienne à sa nature.
J’ai eu par la cousine Mouravieff des détails sur votre arrivée à Moscou et sur votre première entrevue avec la tante Надежда Ник<олаевна>… Cela m’a fait penser à celle qui nous attend…
De grâce, chère maman, ne soyez pas en peine, plus qu’il n’y a lieu de l’être, de Nicolas. L’état de sa santé est satisfaisante, c’est l’essentiel et quant à son moral, eh bien, il se remettra aussi dès qu’il sera parmi nous.
Mille tendresses à Dorothée et à Ник<олай> Васильевич.
Маминьке
Если я решил, любезная маминька, не посылать вам письмо Николушки, то лишь потому, что я предвидел, что оно принесет вам только ненужное беспокойство. Известия о его здоровье, сообщенные мне Штиглицем, самые обнадеживающие, и я его ожидаю со дня на день к нам. Нет нужды говорить, что я жду только его приезда, чтобы вместе с ним отправиться к вам в Москву. Для меня большое утешение знать, что вы уже там. Длительное пребывание в Овстуге для вас не годится, какой бы тяжелой и болезненной ни была минута отъезда.
Прошу вас, поблагодарите Дашиньку за то, что она так любезно и скоро послала нам деньги. Я не премину немедля написать Василию и попрошу его возместить сумму, посланную ею нам, и пошлю ему также расписку за деньги, которые у него прошу. С чрезвычайною неохотою я вынужден истратить гораздо большую, чем предполагалось, сумму, чтобы восстановить мое обмундирование. Но избежать этого нет возможности. Поскольку праздники продолжались несколько дней, я провел их в загородной усадьбе великой княгини Марии Николаевны, у ее управляющего двором графа Виельгорского, любезно приютившего меня.
Вчера я отвез Анну и м-м Дюгайон в Петербург. Помолвка состоялась вчера, день стоял великолепный. Вот уже несколько дней мы наслаждаемся самой восхитительной погодой на свете.
Вы знаете, что м-м Дюгайон покидает нас, хотя и весьма неохотно. Мы тоже сожалеем о ней, тем более что я по опыту знаю, как трудно найти замену гувернантке, которой все были довольны.
Анна поручает мне нежно поцеловать ваши ручки и поблагодарить вас за те слова, что вы передали ей через меня. Она тоже испытывает великое желание повидать вас. Вы найдете у нее очень ласковый и любящий характер и сердце, уже исполненное преданности к вам. Мне особенно хочется, чтобы она побывала в Москве.
Здоровье жены, слава Богу, на этот раз поправилось гораздо скорее, чем я предполагал. Во многом это произошло благодаря гомеопатическому лечению, которое, в руках такого толкового доктора, каким является ее доктор, одно лишь ей подходит.
Я известился через кузину Муравьеву о подробностях вашего приезда в Москву и вашего первого свидания с тетушкой Надеждой Николаевной… При этом я думал о предстоящем нашем с вами свидании…
Ради Бога, любезная маминька, не тревожьтесь чересчур о Николушке. Здоровье его удовлетворительное, а что касается настроения, что же, он несколько утешится, когда окажется рядом с нами.
Кланяюсь Дашиньке и Николаю Васильевичу.
Moscou. Ce 8 août
Quand je t’ai eu perdu de vue et que j’ai senti l’exécrable boîte m’enserrer et m’entraîner au loin, j’ai sérieusement songé à sauter dehors. Heureusement, à défaut de raison, la présence de mon frère m’a retenu. Mais le paroxysme a été violent. Je sais maintenant, comment on saute à l’eau.
Nous avions pour compagnon de voyage un Suisse arrivé depuis trois jours en Russie. Il venait de Genève, il m’en a longuement parlé, — comme un imbécile, il est vrai, et pourtant cela m’a fait du bien — Genève — Hôtel des Bergues — le Rhône — vous, moi — et 8 ans en arrière…
C’est horrible de rester 3 jours et 3 nuits dans une boîte qui roule. Comme on sent alors, combien on est bête.
Cette fois j’arrivais à Moscou par une splendide soirée. J’ai regardé ses coupoles et ses toits bariolés avec vos yeux et à votre intention, car pour mon propre compte, je ne me soucie plus de rien voir. En revoyant les objets, je suis toujours étonné de leur réalité. L’impression qu’on en conserve est toujours si pâle et si terne. Le souvenir n’est jamais qu’un fantôme.
J’ai revu ma mère, et les premiers moments passés j’ai vu avec plaisir qu’elle était beaucoup plus tranquille que je ne l’avais cru. Sa santé est bonne et son existence actuelle lui convient. Elle parle volontiers de la perte qu’elle a faite, et dès qu’on en parle, on l’a acceptée… Peut-être ai-je tort.
Ici, tu penses bien, on fait les vœux les plus ardents pour que nous venions passer l’hiver prochain à Moscou. En attendant la maison dont Dorothée t’a parlé est déjà prise et à vue de pays il nous sera difficile d’en trouver une telle qu’il nous la faut à moins de 4 mille roubles sans le bois. Bref, le mot de la situation, c’est ce que tu en as dit. Il y aurait une notable économie à venir s’établir à Moscou d’une manière définitive, mais s’il n’est question que d’y passer un hiver seulement, il y aurait à cela un notable surcroît de dérangement. Voilà le vrai. Maintenant que faut-il faire? Ma foi, je n’en sais rien et à force de peser le pour et le contre, je me sens moins que jamais en état de prendre une résolution. — Mais je bénirai le Ciel si tu te trouvais assez en fonds d’inspiration pour en prendre une. Ce que j’ai su ici de nos affaires est satisfaisant. J’ai appris ici… mais je te dirai cela une autre fois. Au fait toute cette fortune te regarde maintenant beaucoup plus que moi, car en vertu de la loi elle appartient presque exclusivement aux deux garçons.
Les tantes te font dire mille tendresses. La tante Nadine a changé de domicile, mais c’est toujours dans la même nuance. Il y a ici en ce moment une 3 tante que tu ne connais pas. Elle a vu dernièrement à Kalouga Madame Smirnoff qui, à ce qu’elle m’a dit, lui a beaucoup parlé de moi et lui a demandé, sur ma jeunesse et mon enfance une foule de détails que celle-ci s’est trouvée dans l’absolue impossibilité de lui fournir. Elle m’a dit aussi que la santé de la pauvre femme est dans un état déplorable. Je suis très décidé à l’aller voir à mon retour. C’est la semaine prochaine que nous comptons partir, mais je sais bien une chose. C’est que le redépart de là-bas suivra de très près l’arrivée.
Il me faut une lettre de toi pour aujourd’hui. Adieu, ma chatte. Il fait ici des chaleurs accablantes, le Kremlin a grandi encore, maintenant que la masse du Palais est plus en évidence. J’irai en voir l’intérieur un de ces 4 matins. Hier j’ai vu Mollerus qui repartait de Moscou, enchanté de tout ce qu’il avait vu et mettant Moscou à cent degrés au-dessus de Pétersbourg, il se proposait de l’aller voir à son retour — ce qui vaut mieux que tout au monde. Encore une fois adieu, ma chatte. N’ayez qu’un souci, celui de vous conserver. J’embrasse Anna et les enfants. Mes amitiés aux Wiasemsky et aux Karamzine, à Sophie surtout.