Мое почтение княгине и выражение самой искренней дружбы вашему сыну.
Ф. Тютчев
Francfort s/M. Ce 29 juillet/10 août 1847
Ma chatte chérie. Avant-hier, en revenant ici, mon premier mouvement a été de courir au bureau de la poste où j’ai eu en effet la satisfaction de trouver trois de tes lettres qui m’attendaient, car il faut que tu saches que je me suis résigné à ne pas en recevoir pendant tout ce temps que j’ai passé à Wildbad pour ne pas courir la chance d’en perdre une par quelque confusion qui aurait pu avoir lieu dans ces envois et renvois mutuels. Si tu t’imagines par hasard que tu conjureras par tes lettres mon impatience de te revoir, tu te trompes beaucoup, car il ne m’est jamais encore arrivé d’en lire une sans me trouver superlativement absurde de t’avoir quittée. Au fond, personne n’a de l’esprit comme toi, et je comprends à merveille qu’auprès de toi tout ce que je rencontre dans le monde me paraisse fade et terne, et il ne faut pas moins que le reflet de ta présence pour me le rendre supportable… C’est tout contrariant, mais c’est ainsi.
Ta lettre du maître de poste de Hapsal — comme on disait du temps de Mad. de Sévigné — m’a beaucoup amusé. Elle est vraiment fort jolie. Il y a peu de feuilletons, et de meilleurs, qui vaillent une pareille lettre. J’aime bien les peurs que tu lui causes avec les excentricités épistolaires de ta correspondance. J’aime beaucoup aussi la figure d’Antoinette Bl<oudoff> en proie à ses doctes perplexités devant ton ignorance si pleine de calme et de sérénité… tout cela m’avait rendu fort heureux jusqu’à ce que je fusse arrivé à l’endroit de ta lettre où tu dis que tu es sans argent et que jusqu’à nouvel ordre tu allais vivre aux dépens de tes domestiques. Tu comprends qu’il m’ a été impossible de supporter cette idée. Aussi sais-tu ce que j’ai fait? Je t’ai envoyé hier une somme de 800 r<oubles> ar<gent> accompagnée d’un mot d’avis pour le P<rin>ce Wiasemsky pour le prier qu’aussitôt la lettre de change arrivée il eût soin de t’en faire parvenir le montant à Hapsal le plutôt possible. Voilà l’usage que j’ai fait de ta lettre pour Rotschild, car je suis heureusement dans le cas de pouvoir n’y pas recourir pour mon propre compte, attendu que j’ai encore par-devers moi deux cents et quelques ducats qui doivent suffire pour défrayer la seconde moitié de mon voyage… Pourvu seulement que cette bienheureuse lettre de change arrive assez à temps pour prévenir les dernières extrémités de la détresse. Mais que devient donc mon frère, et peste soit de son absence et de son silence…
Maintenant je te dois quelques mots sur mon séjour à Wildbad. C’est le lendemain du jour où je t’avais écrit de Carlsruhe que j’arrivais dans ce lieu sauvage, peuplé pour le moment de la présence de la Chancelière. Pas besoin de dire que j’en ai été reçu avec toute la pudique effusion d’une affection aussi réelle que réservée. Je la trouvai un peu démoralisée par son isolement, car elle n’avait auprès d’elle que sa fille Chreptovitch, quelque peu ennuyée aussi du séjour que sa piété filiale lui faisait subir. Quant à la société de l’endroit, elle était composée en grande majorité de toute sorte d’infirmes: perclus, boiteux, culs-de-jatte ou à peu près. Représente-toi le fauteuil du vieux C<om>te Maistre, multiplié à l’infini et rayonnant dans toutes les directions. Le pays par contre est fort joli. Il m’a rappelé dans sa douce sauvagerie les sites de Kreuth, etc. etc., la chaumière etc. etc. Je me suis assuré qu’il y avait encore des montagnes dans ce monde. Que Dieu les bénisse et les conserve! Car c’est une très grande consolation que d’en voir après trois grandes années de plaine et de marais… de bonnes, grosses et véritables montagnes et qui ne deviennent pas des nuages à l’horizon quand on y regarde de plus près…
Contre mon attente j’ai rencontré à Wildbad plus de 100 personnes de ma connaissance allemande que je n’en avais vu à Bade, entr’autres l’ami Parceval que j’ai trouvé étonnamment vieilli, et le gros Helmstadt, le neveu de la Braga, toujours gros et frais et de plus marié!.. Il y avait encore en fait d’indigène quelque temps médiatisé, un Löwenstein, protestant qui m’a appris avec indignation que sa cousine, la veuve de Const<antin> L<öwenstein>, venait de se faire religieuse… En un mot, j’ai eu l’occasion pendant mon séjour à Wildbad et grâce à la présence de ces Messieurs de compléter mes informations relativement à Munic… Mais je t’en fais grâce, à toi, et pour cause…
Il va sans dire que dans les immenses loisirs de ce séjour décidément alpestre, la majeure partie de mon temps était exclusivement consacrée à celle qui m’y avait attiré. Nous nous voyions d’abord le matin à la source; puis, à trois heures de l’après-midi je venais la chercher pour la promenade. Puis je dînais — et très bien — avec ces dames et chez elles.
Et le reste du jour était tout à jouir… Aussi lorsqu’après huit jours de cette douce entente il a fallu se séparer, nos adieux ont été des plus tendres, et l’arbre de notre amitié sous la bénigne influence du soleil de Wildbad a poussé de nouveaux rejetons… Au sortir de là j’allai par le chemin de fer à Heidelberg où je couchai, et le lendemain je profitai de quelques éclaircies pour visiter la splendide ruine qui m’a paru plus belle que jamais. Dans mon ardeur j’avais pris un élan qui me portait tout au sommet de la montagne et bien au-dessus du château. Mais cet excès de zèle fut amplement récompensé par la vue d’un des plus magnifiques panoramas qui se soient jamais déroulés sous mes yeux. La plaine au loin immense et bleuâtre, laissant luire de loin en loin les sinuosités du Neckar, et sous mes pieds ce monde de verdure lustrée, éclatante sur laquelle se détachaient ces admirables pierres, si chaudes de ton et de formes si gracieuses. Ah, le beau pays! Mais il est ridicule d’en parler, à moins d’y être. C’est raconter de la musique.
En allant de Heidelberg à Francfort on passe aux portes de Darmstadt. J’avais appris par hasard que le lendemain c’était la fête de la Grande-D<uchesse>. J’avais pensé qu’il était convenable de profiter de la circonstance pour aller lui offrir mes hommages. Cette supposition paraissait assez naturelle. Eh bien, il est possible que je me suis trompé dans mes calculs. Au moins j’ai cru remarquer que ma présence gênait les alentours à cause d’un certain dîner à la campagne qui devait se donner le lendemain et auquel on ne savait pas si l’on pouvait convenablement associer un étranger, arrivé impromptu. Je coupai court à leurs hésitations, en déclarant que je devais partir nécessairement aussitôt après la messe. Ce que je fis en effet, après avoir gratifié de quelques paroles gracieuses et shake hands obligé… Quoiqu’il en soit, me voilà garanti pour longtemps de tout retour de velléités courtisanesques…
Ma chatte chérie, je voudrais bien que dans ce moment-ci tu m’envoyasses une inspiration. Le silence de ton frère me jette dans de grandes perplexités. J’avais espéré à mon arrivée à Francfort d’y trouver un mot d’avis de sa part, en réponse à ta lettre que je lui ai écrite de Bade, il y a trois semaines passées, ce qui est un laps de temps plus que suffisant pour permettre à cette réponse d’arriver, en dépit de tous les distances que son déplacement et le mien ont pu occasionner. Je suis donc obligé de supposer ou que ma lettre, arrivée à Munich, y est restée, ou bien que ton frère a déjà quitté Ostende, ou ce qu’à Dieu ne plaise que les soucis que lui donne la société de Hubert l’empêchent de me répondre. Quoiqu’il en soit des motifs de son silence, toujours est-il que je suis dans la plus complète ignorance de son sujet et dans l’impossibilité même de conjecturer, si en allant à Ostende j’ai encore la chance de l’y rencontrer. Et cependant je ne voudrais pas faire ce voyage en pure perte, tant aussi peu que je me résigne à l’idée d’être venu en Allemagne, sans l’avoir vu… A l’heure qu’il est il me reste bien encore deux cents ducats, mais il n’y a là rien de trop, pour payer l’excédent de la dépense que me coûtera le transport de ta voiture par le chemin de fer. Or je tiens à te le ramener, je veux au moins que mon voyage ait eu un résultat pratique quelconque. J’en ai besoin pour le justifier à mes propres yeux. J’ai bien la chance de demander à mon passage par Berlin une nouvelle course de courrier. Mais ai-je aussi celle de l’obtenir?.. Toutes ces considérations disparaîtraient, si j’avais la certitude de trouver ton frère à Ostende, mais s’il n’y était plus?..
Eh bien, que faire?.. Adieu, ma chatte chérie. Je vois bien que tu ne veux pas me répondre et les écritures m’embêtent.
Tout à toi et rien qu’à toi. T. T.
Франкфурт-на-Майне. 29 июля/10 августа 1847
Милая кисанька, третьего дня, приехав сюда, первым моим движением было бежать на почту, где меня и в самом деле ожидала радость — меня дожидались три твоих письма, поскольку, должен тебе сказать, я смирился с мыслью не иметь от тебя вестей во время моего пребывания в Вильдбаде, чтобы не потерять какое-нибудь из твоих писем вследствие их пересылки из одного места в другое. Если ты случайно воображаешь, будто своими письмами ты утоляешь мое нетерпение видеть тебя, то ты глубоко ошибаешься, ибо мне не случалось прочитать хотя бы одно без ощущения крайней нелепости того, что я покинул тебя. Никто не может состязаться с тобой в остроумии, и я великолепно понимаю, что после тебя все, кого я встречаю в свете, кажутся мне пресными и бесцветными, мне нужен хотя бы отзвук твоего присутствия, чтобы я мог переносить остальных… Это очень досадно, но это так.